Adélaïde Russell |
Une fois par mois, Expat Forever vous propose de rencontrer une femme expatriée, un expat auto-entrepreneur ou parfois les deux en même temps afin de mieux comprendre la vie au quotidien en expatriation. Ces interviews démontrent que l’on peut être un conjoint d’expatrié et se réaliser professionnellement et personnellement.
Ce mois-ci, la donne est un peu différente puisque j’ai rencontré Adélaïde Russell qui bien que n’étant pas entrepreneur au sens strict du terme a parfaitement réussi à concilier son parcours de conjointe accompagnatrice avec des objectifs professionnels ayant du sens pour elle.
Adélaïde est psychologue et l’auteur de deux livres sur l’expatriation écrits en collaboration avec Gaëlle Goutain. Elle nous retrace son parcours avant de répondre à des questions sur le thème de la santé mentale en expatriation.
Expat Forever : Bonjour Adélaïde. Pouvez-vous, s’il vous plaît, retracer votre parcours professionnel et de conjointe d’expatrié ?
Adélaïde Russell : Après la fin de mes études en psychologie finalisées par un mémoire sur le thème de l’exil chez des migrants maliens en France et l’analyse de ces parcours de vie réussis à travers le mécanisme de réparation, j’ai travaillé pendant un an et demi au service recrutement d’Air France. Puis j’ai fait le choix de suivre l’homme de ma vie et nous avons enchaîné les pays : l’Ecosse, le Venezuela, la Malaisie et deux fois les Etats-Unis et la France. Très investie dans l’identité de ma profession de psychologue qui fait partie intégrante de ma lecture du monde, j’ai toujours eu des activités professionnelles. Certes les cadres et contextes ont variés en fonction des aménagements nécessaires dus aux contextes variés, mais j’ai veillé à avancer dans ce domaine. Les rencontres humaines sont le grand cadeau de la vie d’expatrié : j’aime travailler en collaboration et ainsi découvrir de nouveaux potentiels et mettre des projets en place. Avec Marine Skowronski nous avons monté un point écoute pour des consultations psychologiques au sein d’un lycée français à l’étranger, avec Gaëlle Goutain nous avons beaucoup réfléchi et rédigé deux livres sur les enfants et le conjoint expatrié. Actuellement avec Blandine Mugnier nous préparons des ateliers pour les nouveaux venus à Houston que nous animerons à la rentrée. Psychologue française, j’exerce en tant que life coach aux Etats-Unis notamment via des vidéo consultations au sein de Tele-psy une plateforme de télémédecine rattachée à Eutelmed, une société innovante en santé mentale située au sein d’un hôpital parisien. La prise en charge de situations dramatiques ou simplement négatives pour les personnes qui les vivent porte mon intérêt vers la prévention. Les outils et les professionnels existent mais doivent être davantage valorisés par la société française. Il y a encore tellement de choses à faire dans ce domaine ! C’est ce que j’exprime sur mon site Expat Famille.
EF : Selon vous, en quoi l’expatriation peut-elle être un risque pour la santé mentale des expatriés ?
AR : La première thématique au cœur d’une situation d’expatriation est clairement l’identité. Comment face à l’inconnu je me ressens bien être moi et je me sens capable de puiser dans mes ressources personnelles pour effectuer tous les ajustements et apprentissages nécessaires ? Comment en partant vivre ailleurs je peux utiliser la nouveauté pour évoluer au plus proche de ce que je souhaite être ? L’expatriation accélère les changements identitaires, encore faut-il pouvoir intégrer positivement en soi cet aspect… La deuxième grande thématique touche au relationnel : la difficulté de quitter (faire le deuil des lieux et des liens), le manque ressenti face à l’absence des êtres chers, le défi de recréer de nouveaux liens affectifs satisfaisants. L’expatriation, dans son aspect de rupture, peut mettre à mal les ressources affectives nourries par les relations et fragiliser la personne.
EF : Quels sont les facteurs déclenchant d’un sentiment de mal-être en expatriation ?
AR : Il y en a plusieurs suivant les personnalités mais indéniablement le premier est le stress : gérer des bouleversements dans un contexte et lieu inconnus au départ, puis s’adapter de manière constructive à sa nouvelle vie demande un recentrement intense sur soi et ses capacités. Le sentiment de continuité de soi et la solidité des repères internes sont des atouts qui sont mis à mal lors des périodes de transition. Le salarié lors de la prise de poste, le conjoint qui accompagne lorsque c’est le cas, les enfants, la famille comme entité, tous sont mis sous tension les premières semaines et/ou mois suivant l’arrivée. Il y a tellement d’efforts à faire pour retrouver le fil de sa vie ! Après la période intense d’installation, un sentiment de nostalgie de ce qui a été quitté, un vide ressenti face à ce qui a été laissé émerge. C’est le travail de deuil qui fait son œuvre, une déprime autour de cette période est très saine, on sait bien qu’il n’est pas possible d’être tout le temps heureux ! En revanche un sentiment dépressif envahissant qui freine toute action est alarmant et doit être pris en charge.
Il faut aussi parfois faire face à des événements extérieurs à soi qui font partie de la vie mais qui peuvent accentuer un vécu négatif (un ressenti de culpabilité face à l’éloignement des parents vieillissants par exemple). De forts décalages culturels en fonction des pays d’accueil, des conditions intenses de sécurité au quotidien peuvent également être des facteurs déclenchant de malaise en fonction de la personnalité du sujet. Le registre des événements dramatiques impromptus (sécuritaires, climatiques, économiques, politiques, médicaux, professionnels) qui surgissent peuvent être source d’un vécu traumatique qu’il va falloir prendre en charge et soigner.
EF : Quels en sont les symptômes ?
AR : Lors de la phase d’installation, en plus de retrouver un équilibre au niveau familial, chacun à sa propre problématique à gérer et requiert une attention particulière. Le risque d’incompréhension envers les difficultés de l’autre est présent, les conflits sous-jacents éclatent plus facilement. Le stress ressenti permet de mobiliser une grande énergie face à tout ce qui est à réaliser et à intégrer mais le corps peut parfois exprimer un trop plein. Peuvent surgir alors des troubles des grandes fonctions (sommeil, alimentation…), des somatisations qui peuvent s’accompagner d’une forte anxiété, des ressentis de colère... C’est une période très excitante de découverte, le sujet est en pleine réceptivité qui peut être alliée à une sensibilité accrue, il faut savoir prendre soin de soi et se ressourcer ! L’épisode de nostalgie qui suit en général malgré son aspect peu agréable à vivre est bon signe si la tristesse ressentie reste modérée.
Lorsque le réseau social quitté manque trop et qu’il y a une difficulté à en reconstituer un autre ou à s’insérer, en fonction des personnalités, on peut aussi voir apparaitre l’expression de conduites de fuite (alcool, travail ou écrans). La vigilance de l’entourage doit être présente pour qu‘elles n’aillent pas dans le sens d’une addiction. Sinon, durant la vie quotidienne, au contact des gens, des coutumes du pays et du nouveau mode de vie, l’expatrié change et enrichit ses différentes identités. Les nouvelles relations et expériences augmentent la palette de ses références et font évoluer son appréhension de la vie, en général vers une plus grande ouverture d’esprit.
EF : Y a-t-il des personnes qui sont plus à risque que d’autres ?
AR : Heureusement que la population est composée de personnes singulières avec des personnalités diverses et des histoires de vie variées. C’est ce qui fait le sel de la découverte de l’autre et des partages relationnels. Cela veut dire aussi que chacun a des ressources personnelles différentes pour gérer telle ou telle difficulté. Sur le versant personnel, les personnes qui sont moins connectées avec leur vie intérieure et leur moi intime, celles qui ne sont pas assez actrices de leur vie, celles qui n’ont pas assez identifié leurs points forts ainsi que leur projet de vie peuvent être plus vulnérables face à de grands bouleversements de vie. La flexibilité de la personnalité joue également, car trop de rigidité accompagnée de résistance au changement freine fortement l’adaptation. Si l’inconnu est perçu comme une menace, l’adaptation se fera dans la douleur. L’autre versant, le relationnel, prouve que la solitude fragilise, les personnes qui ne vivent pas de relations nourrissantes et se sentent affectivement isolées peuvent être davantage fragilisées. Suivant la qualité et la solidité de la vie intérieure et celle du réseau social, le fait de se retrouver dans un contexte de vie différent peut s’avérer plus ou moins compliqué.
EF : Pourquoi ?
AR : Dans l’échelle des événements de vie partir vivre à l’étranger est reconnu comme une réelle source de stress bien que paradoxalement cela fasse partie des événements à connotation heureuse. Quand le contexte de vie est différent il faut pouvoir compter sur soi et sur les relations entretenues avec les personnes proches pour trouver l’élan de réaliser le plus de choses positives possible. Un réseau social qui va encourager la constitution de projets divers est un support indéniable de réussite.
EF : Que peut-on faire pour prévenir de telles situations de mal-être en expatriation qui peuvent conduire à des échecs et à des retours anticipés ?
AR : Tout d’abord il est bien connu qu’il faut éviter de partir dans une dynamique de fuite des problèmes actuels. Ils risquent de resurgir plus violemment encore lorsque l’on se retrouve loin de son contexte de vie habituel. L’illustration classique et malheureusement trop fréquente est le taux de divorce très élevé chez les expatriés. Par conséquent une mise à plat via une préparation est toujours bénéfique. Prendre le temps d’être à l’écoute de soi, de ses envies, de ses craintes, de ses renoncements et de ses projets positionne en tant qu’acteur et permet d’aller dans le sens d’une réalisation satisfaisante. Ensuite partir seul, en couple ou en famille, demande de soigner ses relations, avec ceux qui restent mais aussi avec ceux qui font partie de l’aventure lorsque c’est le cas. Faire alliance autour de ce projet de vie à l’étranger, considérer chacun comme un acteur à part entière de cette expérience de vie (adultes et enfants) impulse une dynamique positive au sein du groupe familial. Tout cela se prépare entre soi mais aussi avec le support de professionnels lorsque l’on souhaite se donner le maximum de moyen pour réussir l’expatriation et rebondir au plus près de ses envies.
Les préjugés sur la situation des expatriés sont encore trop vivaces en France : ce n’est pas parce que l’on part vivre à l’étranger dans des conditions matérielles confortables que tout est facile… Tout expatrié qui part devrait être préparé, les représentations au sein de la société française doivent évoluer à ce niveau, je vois trop d’expatriés pour la première fois qui payent ensuite émotionnellement le prix fort de n’avoir pas été accompagnés à ce changement de vie.
EF : En cas de mal-être profond d’un membre de la famille dans le cadre d’une expatriation, que faut-il faire ou au contraire que faut-il ne pas faire ?
AR : La vie tout court révèle des surprises et des rebondissements et toute personne peut être amenée à traverser une épreuve. Que les causes soient intrinsèques (en soi) ou viennent de l’extérieur, expatrié ou non, chacun a des moments dans sa vie qui peuvent nécessiter un support (amical, médical, psychologique). Pouvoir diagnostiquer le degré de profondeur du mal-être permet d’apporter l’aide adaptée surtout en cas de prise en charge médicamenteuse nécessaire, dans le cas d’une réelle dépression par exemple. En règle générale lorsque l’on voit un proche qui ne va pas bien, des moments d’échange et de rapprochement sont tentés afin de comprendre l’étendue du problème et de saisir la motivation de l’autre à être aidé. Un déni face à la détresse mentale d’un proche est certainement à éviter !
EF : En fonction de son pays de résidence, il n’est pas toujours facile d’être pris en charge localement par un expert dans sa langue maternelle. Quelles sont les solutions alternatives s’il en existe ?
AR : La télémédecine se développe et permet de consulter dans sa langue, ce qui est un point primordial lorsque le besoin d’un soutien psychologique ou d’un accompagnement se fait sentir. Je peux recommander le système de vidéo consultations mis en place par Tele-psy pour les expatriés francophones qui propose un panel de professionnels psychologues et/ou coachs et offre toutes les garanties déontologiques nécessaires pour ce genre de démarche (choix du thérapeute, messagerie sécurisée). Cela se révèle un outil très intéressant pour pallier le manque de professionnels localement.
EF : En conclusion, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
AR : Oui, je voudrais dire que sans négliger les risques issus de la situation d’expatriation, j’ai tendance dans ma réflexion et mes écrits à mettre en avant les aspects constructifs qu’il est possible de retirer d’une telle expérience. Les opportunités de croissance personnelles, familiales, professionnelles et financières au cours d’une expatriation ainsi que le potentiel de réalisation sont aussi à partager et valoriser !
EF : Merci Adélaïde pour votre collaboration.
Pour aller plus loin, je recommande vivement la lecture d’un article très positif qu’Adélaïde a écrit pour Femmexpat sur la vie de famille en expatriation, mon billet intitulé Pourquoi l'expatriation est une formidable aventure, ainsi que les deux ouvrages d’Adélaïde rédigés en collaboration avec Gaëlle Goutain :
- Gaëlle Goutain, Adélaïde Russell, Conjoint expatrié. Réussissez votre séjour à l’étranger, L’Harmattan, 2011
- Gaëlle Goutain, Adélaïde Russell, L’enfant expatrié. Accompagner son enfant à travers les changements liés à l’expatriation, L’Harmattan, 2009
Crédit photo : Adélaïde Russell
Derrnière mise à jour : 7 juin 2013
Derrnière mise à jour : 7 juin 2013
Partageons nos expériences pour mieux vivre notre expatriation au quotidien.
très interessant et tellement vrai .. je partage ...
RépondreSupprimerMerci Isabelle !
Supprimermerci pour ce billet tres interessant que je decouvre via From Side@Side !.....
RépondreSupprimeren le lisant votre page me propose aussi de lire l'article sur les romans jeunesse/expatriation... en tant que Maman je viens de lire "la petite fille au kimono rouge", a conseiller !
Merci Odile pour votre commentaire. Eh bien, ca tombe bien car je recommande aussi "La petite fille au kimono rouge" sur ce blog, voici le lien : http://expatforever.blogspot.com/2012/10/romans-jeunesse-et-expatriation.html
SupprimerMa fille ainee l'a lu et moi aussi et j'ai adore !
A bientot sur expat forever !
Les Marraines De Luanda - Angola
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Great blog I enjjoyed reading
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